Accueil Culture Mohamed Frini, CEO et co-fondateur de «Hakka Distribution», à La Presse  : «Le film tunisien est de loin le plus performant en salles»

Mohamed Frini, CEO et co-fondateur de «Hakka Distribution», à La Presse  : «Le film tunisien est de loin le plus performant en salles»

Mohamed Frini a fait le pari de permettre aux films d’auteur d’accéder au plus grand nombre d’écrans à travers le pays, dans un contexte où les salles de cinéma fermaient et le public n’avait quasiment plus accès aux projections de films d’auteur. En 2013, il a co-fondé la première société de distribution spécialisée dans les films art et essai. Il dirige deux salles de cinéma art et essai, Amilcar à Tunis depuis 2015 et le Métropole à Menzel Bourguiba reprise en mars 2019. Il est aussi président fondateur d’Echos Cinématographiques, une association active dans la promotion de la cinéphilie pour les publics marginalisés, depuis 2017. Entretien.

Aujourd’hui où en est la distribution des films, tous genres confondus, en Tunisie ?

Malgré les difficultés que traverse le pays, le cinéma tunisien a connu une évolution prodigieuse en cette décennie.

Nous avons démarré notre activité de distributeurs de films en 2013 et, depuis cette année, le cinéma est sur une courbe ascendante. Il n’y a qu’à voir la fréquentation du public qui augmente, le nombre de films sortis et des salles actives. Après la crise de la  Covid, l’année 2022 est celle de la reprise. D’après nos estimations elle sera   l’une des saisons les plus dynamiques de la dernière décennie. L’année se présente bien et en particulier pour le cinéma tunisien.

Est-ce que le cinéma tunisien peut se frayer un chemin entre les superproductions étrangères et gagner en public ?

Déjà la moyenne du film tunisien aujourd’hui est largement supérieure à celle du film étranger. Prenons pour exemple   les chiffres de la saison 2019 avant la crise Covid. D’après les statistiques de l’INS, nous avons clôturé avec deux millions huit cent mille spectateurs tous films confondus. En 2019, il y avait une dizaine de films tunisiens qui ont totalisé 800.000 spectateurs. Ce qui fait que la moyenne est entre 70 000 et 80000 spectateurs pour le film tunisien . Les deux millions de spectateurs qui restent, si on les divise sur les deux cents films étrangers, la moyenne sera de 10.000 spectateurs. Le film tunisien est de loin le plus performant en salle et le plus demandé. « Dachra » a enregistré presque 300.000 spectateurs.  Pour l’année 2022, deux films dépassent déjà les 100.000 spectateurs : « Papillon d’or » et « Ghodwa ». Aucun blockbuster américain n’a réalisé ces chiffres en Tunisie ces dernières années.

Certains pensent que les sujets traités dans nos films sont loin des préoccupations du Tunisien… 

Bien au contraire, il y a d’un côté les drames sociaux bien ancrés dans notre réalité et dont les Tunisiens sont friands. Mais on assiste, ces dernières années, à une diversification des genres qui attire de nouveaux publics. Les réalisateurs expriment leurs points de vue, chacun à sa manière, mais les films tunisiens restent les plus proches des sensibilités et des préoccupations des Tunisiens.

Selon quels critères choisissez-vous un film tunisien à distribuer ?

Le film doit avoir une plus-value artistique par rapport à ce qui s’est fait jusque-là. Et il y a une nouvelle génération qui promet ….

On dit que les films d’auteur font fuir le public … Faut-il produire du commercial intelligent ?

La distinction film d’auteur – film commercial existe surtout dans les pays de grande industrie cinématographique où le film d’auteur rime avec faible rendement. En Tunisie nous n’avons pas ce genre d’industrie.

Mais, à tout prendre, les films tunisiens qui ont drainé le plus de public ces dernières années sont des films d’auteurs, qui ont fait leurs preuves aussi bien dans les salles que dans les festivals internationaux les plus prestigieux. 

Comment  voyez-vous l’avenir du film tunisien ?

Pendant ces dix dernières années, j’ai accompagné plusieurs films tunisiens  et   je peux affirmer  qu’il y a une   nette évolution entre les films de nos débuts et les films les plus récents .   La production a gagné en nombre et en diversification avec de plus en plus de regards frais et de prise de liberté. Nous sommes dans un cinéma en pleine mutation qui ouvre de nouveaux horizons .     

Pathé est devenu depuis 2020 un distributeur. Que pourrait être son impact sur les films tunisiens ? D’aucuns expriment des craintes …

Ce genre de craintes peut être parfois fondé et parfois spéculatif. L’impact des grandes multinationales de l’exploitation cinématographique sur le cinéma local est d’une manière générale négative . L’arrivée de Mégarama au Maroc a coïncidé avec la disparition d’un grand nombre de salles et de distributeurs et on a,par la suite, constaté un recul du cinéma marocain dans les festivals internationaux. Toute la dynamique d’ascension du cinéma marocain a pris un coup. Tout cela parce qu’il n’y a pas eu d’arbitrage … L’ouverture aux investisseurs étrangers est incontournable et potentiellement bénéfique mais Il faut protéger le marché du film tunisien et c’est un enjeu important pour tout le monde. La responsabilité est du côté des professionnels et de l’Etat tunisien.

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